A la première heure de cours du premier jour, chacun des nouveaux puis des autres élèves fut appelés au tableau pour se présenter en quelque mots. Il s’agissait de se mettre en confiance les uns les autres et de se rencontrer.
« J’m’pelle Maxence. J’17 ans… J’viens d’l’île de l’oubli comme...eux [désignant ses camarades]...voilà... »
Mèche, trench, mitaine, rangers, Maxence cultivait comme ses semblables son halo de noirceur personnel à travers un sens de la mode New-Age ce qui suffisait à ne pas le distinguer des autres élèves d'Auradon Prep.
Il détestait être exposé. Il détestait parler en public. Il détestait les yeux posés sur lui d’une classe de curieux bienveillants. Il détestait ne pas pouvoir juste s’affaler au fond de la classe et s’endormir. Il n'avait nullement envie de décliner un arbre généalogique sans intérêt devant des élèves qui auraient pu se trouver automatiquement des raisons de ne pas l'aimer grâce à cela.
La très gentille professeur eut beau essayer de lui poser plus de questions, il sautait aux yeux que ce grand échalas n’était pas du tout loquace. Il semblait incapable de dire ce qu’il aimait, s’il avait des hobbys ou quelle était sa matière préférée.
Ceux qui le connaissait déjà riaient parce que ce n’était rien d’autre que ce vieux Maxence et ses gimmicks habituels. Les autres finiraient par comprendre, plus tard. C’est même une de ses anciennes camarades de l’école La Dragonne qui compléta son autoportrait en précisant qu’il était souvent « un peu ailleurs », ce qui fit encore rire les oubliés et sourire Maxence, un petit peu.
Dans le microcosme des humains scolarisés sur l’Île de l’Oubli, ils se connaissaient naturellement tous. Ses anciennes connaissances n'auraient aucun mal à expliquer à leurs nouveaux camarades ce qu'il en était de Maxence. Ce qu’il y avait à savoir tout d'abord, c’est que si un objet vous manquait il fallait commencer par lui demander. On pouvait difficilement lui faire confiance mais dans leur région d'origine ça n'avait rien de marginal. La plupart le considérait comme un peu idiot ou alors vraiment très, très mystérieux. On pensait que son cerveau avait peut-être été un peu secoué dans son enfance. Sinon il n'y avait rien de prestigieux dans son pedigree. C'était un gamin qu'on croisait souvent à traîner dehors et pendant très longtemps personne ne savait vraiment qui était ses parents.
Sa vie était un roman de Dickens. Maxence était le fils adoptif de la redoutée Mère Gothel, sorte de sorcière retirée ayant traversé les âges en beauté grâce aux pouvoirs d’une chevelure enchantée. Aussi loin que sa mémoire puisse retourner, il a grandi à l’orphelinat des « Petits frères de l’Oubli » jusqu’à ses 9 ans où la vieille Gothel l’adopta.
Dans les premières années, son père naturel, celui qui l’avait abandonné en personne à quelques pas de l’entrée des Petits Frères venait le visiter souvent.
Plus exactement il le récupérait, sur des périodes courtes.
Grand Coquin, escroc des grands chemins, n’avait pas spécialement la fibre paternelle. Il n’avait pas un mode de vie digne d’une vie de famille ni l’intention d'y remédier mais il lui arrivait parfois d’avoir besoin de quelqu’un de petit pour être jeté par-dessus un muret ou pour ramper dans un tunnel étroit.
Il récupérait Maxence pendant une semaine, parfois un peu plus ou parfois un peu moins, et une fois qu’il ne savait plus quoi en faire ou qu’il était fauché, il le ramenait à l'hospice. Très rapidement, Maxence savait faire la route tout seul. La politique extrêmement laxiste de l’orphelinat lui permis de ne pas vraiment aller à l’école pendant très longtemps. Ainsi, il devint de façon très précoce un habile chapardeur, un mendiant convainquant et un menteur inspiré, comme papa. Il passait le plus clair de ses journées accroupis dans des coins de trottoirs à guetter ou à recruter d’autres gosses. Maxence doit avouer qu'il a surtout des bons souvenirs de cette période, même s'il y a aussi développé les très mauvaises habitudes qui le poursuivent aujourd'hui.
Grand Coquin, John de son prénom, ne s’opposa pas à l’adoption de son fils et d’ailleurs personne ne lui demanda son avis. Il aimait bien son fils mais comme il aimait bien ses acolytes habituels et s'il avait trouvé plus rentable que l'orphelinat, il serait passé par d'autres circuits. Des petits garçons perdus, il en avait vus toute sa vie, il en avait été un lui-même et le sort de Max lui sembla plus enviable que la plupart de ceux qu'il avait emmené à l'abattoir sur l'Île aux Plaisirs. Il essaya tout de même de négocier une pension alimentaire à la nouvelle adoptante mais ça n'avait aucun sens.
Maxence fêta ses dix ans chez la vieille dame. Elle lui offrit une chambre douillette qu’il pouvait meubler lui-même avec ce qu’il trouverait dans la décharge. Mais même si elle vivait misérablement, comme tous les habitants de l’Oubli, Gothel était maternelle. Elle mentait et elle manipulait comme elle l’avait toujours fait mais elle apporta à Maxence une tendresse encore inédite qui l’empêcha peut-être de devenir un psychopathe.
C’était une vieille dame depuis très longtemps. Tous les miroirs étaient cachés car elle ne supportait pas son reflet. Dans sa vie de vieille femme, elle avait été jeune à nouveau quand elle élevait la petite Raiponce. Ces seize années là avaient été les plus sauvages et les plus libres de sa vie. Elle avait été belle et envoûtante comme Esmeralda, désirée comme une fille de roi. Elle avait même eu une fille, elle qui n’avait jamais connu la maternité avant.
A présent elle avait besoin d’aide pour tout. Maxence s’occupait du jardin, du ménage, de sortir le chien, d'emmener Ginny à l'école alors qu'il n'avait que deux ans de plus... Il retournait de moins en moins zoner avec son père parce que c’était déjà un sacré emploi du temps. Maman avait surtout besoin de lui pour faire le tour de l'île toutes les semaines, récupérer les crèmes et les onguents supposés l'aider à se rajeunir. L'arrêté sur la magie l'empêchait de trouver des solutions vraiment efficaces, mais Maxence rencontrait pour elle beaucoup de charlatans.
Gothel le fascinait et le terrifiait. Elle pouvait changer d’humeur en un clin d’oeil, il avait toujours peur qu’elle se mette en colère parce qu’elle pouvait avoir des mots extrêmement durs, de quoi ruiner toute trace de confiance en soi pour des années. De la même façon, tout aussi subitement, elle pouvait prononcer les paroles que vous aviez comme attendues toute votre vie.
Sa relation avec sa nouvelle mère était très autoritaire, basée davantage sur le respect que sur l'amour. Bien qu'elle sache parfaitement y faire avec les gosses, Gothel considérera toujours Maxence comme une sorte de pique assiette. Il ne présentait pas bien comme elle l'aurait voulu. Il la décevait tout le temps. Entre eux, ils élèvent très facilement la voix mais c'est toujours elle qui gagne et Maxence vient toujours s'excuser pour qu'elle puisse jouer la mère indignée.
Ils vivaient dans une espèce de cottage apocalyptique, plutôt à l’écart de l’épicentre de l’île parce que Gothel avait toujours préféré la campagne. C’était une espèce de vieux phare abandonné, proche du dôme. Maxence dormait tout en haut d’où il pouvait voir les étoiles et l’océan en s’explosant la tête et en écoutant de la musique fort. Il était complètement indépendant en dehors de ses obligations. Personne ne le surveillait jamais et il s’endormait souvent sur la plage, chez des potes ou dans le jardin.
Naturellement il n’était pas l’élève le plus assidu de La Dragonne. Il avait commencé à boire et à fumer quand il allait chez son père puisque celui-ci menait une vie de glouton hédoniste en toute circonstance. Il avait quelques amis à l’école mais généralement les gens restaient méfiants avec lui parce que c’était vraiment un sale petit arnaqueur et il s’était déjà fait attraper la main dans le sac par des adultes tout un tas de fois.
Ginny grandissait et elle passait sa vie à hurler. Il lui semble qu’elle n’a jamais vraiment arrêté depuis. Il lui est déjà arrivé de mettre un tout petit peu de gin dans sa soupe pour qu’elle la ferme. Gothel en était très fière. Ginny lui ressemblait beaucoup et elle devenait très belle. La mère et la fille ont été beaucoup plus proche que Maxence ne l’a jamais été d’aucune des deux. D’ailleurs la seule chose que lui a dit Gothel avant son départ c’est de faire attention à sa sœur, à ce qu’elle ne devienne pas une proie pour ces guimauves de princesses. Il ne se faisait aucun souci pour cette petite garce.
Ginny et Maxence se disputaient énormément. Tout en ayant occasionnellement des moments de complicité et faisaient très fréquemment semblant de ne pas se connaître en public. A commencer par leurs premiers jours à Auradon Prep.
Dans les premiers jours, Maxence restait dans l’ombre de ses semblables, tout aussi impressionné qu’eux par les différences de paysage et de mode de vie d’Auradon. Tout sentait bon, tout était frais, tout le monde était si bien élevé… Il aperçu les héritiers de ceux qui étaient leurs ennemis traditionnels et toutes les formes de magie qui existaient lui tournait la tête. Ce monde est tellement beau qu’on ne voudrait jamais le quitter.